Parents-freins

Le rêve de Kevin et de son père

Quand le parent s’associe, involontairement, à la démotivation pourtant prévisible de son enfant…

Kévin a 15 ans. Il redouble sa 4ème. Sa scolarité est chaotique depuis le CP. Son entrée dans l’apprentissage de la lecture a été laborieux et le démarrage du primaire a marqué le signal d’une longue période de souffrances et de conflits pour toute la famille. Kévin a une petite sœur, Charlotte, 10 ans qui réussit brillamment de son côté.

Le père de Kévin est ingénieur, c’est un homme organisé, méthodique et exigeant qui vit assez mal l’échec récurrent de son fils, notamment dans les matières scientifiques où celui-ci se hisse avec difficultés jusqu’à un moyenne qui avoisine les 04/20 en mathématiques… Il a maintes fois tenté de l’aider, de lui donner des méthodes de travail éprouvées, de lui transmettre tout ce qui, pour lui, a bien marché lorsqu’il était plus jeune. La détérioration de leurs relations a donc pris naissance au fil de la scolarité de Kévin. Aujourd’hui, Kévin et son père s’évitent tant que faire ce peut. Ils s’ignorent la plupart du temps et le père à reporté toute son affection et ses intérêts sur Charlotte qui, elle au moins, montre moins d’ingratitude…
La mère de Kévin a tenté de prendre le relais pour ne pas donner à son fils le sentiment d’être abandonné, mais elle s’est heurtée à un véritable mur.

Cette année, les vacances de Pâques se sont étonnamment bien passées, en famille ! Tous les quatre se sont retrouvés, l’espace d’une semaine autour d’un séjour de ski. Difficile d’imaginer de l’extérieur qu’il put exister des tensions si fortes entre père et fils ! En effet Kévin et son père se sont comme retrouvés, au plus grand bonheur de tous, à partager des activités tout au long de la semaine, dans une grande complicité et dans une relation des plus réconfortantes.
Bernard, le père de Kévin, a le sentiment d’avoir littéralement rajeuni de plusieurs années. Il goûte avec un bonheur intense, le plaisir d’avoir redécouvert un fils plein d’humour, capable même de lui donner des cours de ski, à lui, ancien champion de descente ! La famille est aux anges. Ce bon en arrière a des relents d’espoir…

C’est donc dans une énergie des plus positives que la petite famille s’apprête à reprendre son quotidien. Kevin, entre autre, trop heureux d’avoir reconstruit le lien avec son père ne compte pas en rester là. Il est plein de détermination et se sent prêt à abattre des montagnes à lui tout seul. Pas question d’être déçu ni de décevoir cette fois !

Il s’étonne lui-même de sa qualité d’attention pendant le cours de mathématiques, même s’il ne comprend pas tout, loin de là… Aussi prend-il la décision de faire un coup d’éclat. Offrir une super note à son père au prochain devoir de maths qui doit tomber dans une quinzaine de jours. Il vise le 15/20, au moins ! Il sait qu’il en est capable.

Kévin n’hésite donc pas une seconde à solliciter Bernard et lui fait très vite part de son projet :

– Papa, tu sais quoi ? J’ai vraiment envie d’y arriver cette fois…
– De quoi tu parles mon grand ?
– En maths, j’ai vraiment envie de me taper une super note ! Tu peux m’aider ?…
Conscient malgré tout de l’ampleur de la tâche et de la difficulté d’y parvenir, il n’hésite cependant qu’une fraction de seconde. Il ne peut se résoudre à « casser » les espoirs de son fils. Même s’il doute, il s’associe presqu’aussitôt au projet de Kévin :
– Bien sûr que je peux t’aider ! Je suis certain qu’on peut y arriver tous les deux !
Tous deux se mettent donc à la tâche et vont deux semaines durant, dans une étonnante bonne humeur qui n’échappera pas à maman ni à Charlotte, se préparer ensemble à la réalisation de leur objectif commun, qu’ils crient haut et fort à qui veut bien l’entendre : « obtenir 15 au prochain devoir de maths dans deux semaines ! »
Jusqu’au dernier jour, la collaboration père/fils ne s’émoussera pas, au contraire. Le reste de la famille assiste, toujours très étonné, à cette résurrection de circonstance…. La complicité et la solidarité dont font preuve Bernard et Kévin font plaisir à voir. Une relation père/fils comme on la rêve, idéale !
Bernard est enfin rassuré au plus profond de lui sur le fait qu’il n’a pas « perdu son fils ». C’est, pour lui, la fin d’un déchirement et d’une souffrance dont il prend la pleine mesure aujourd’hui. Il s’était habitué à leur absence de relation au point d’avoir le sentiment de ne plus en souffrir,  reportant, pour le coup, ses espoirs sur Charlotte qui le « purifiait » de toute sa frustration.Ces deux semaines bienheureuses voient donc se reconstruire une famille éclatée.
Ces deux semaines témoignent également du fait que tout n’était pas compromis. Ces deux semaines enfin étalent au grand jour le poids redoutable de l’impact de la scolarité de nos enfants sur ce que nous avons de plus précieux : notre famille.C’est le jour « J ». Kévin termine son devoir de maths. Il n’est pas vraiment satisfait, mais il se force à espérer que ça a marché. Il s’en remet maintenant à la providence et à la bienveillance de son professeur à son égard. Il a dans tous les cas le sentiment de s’extirper d’une chape de plomb qui lui pesait sur les épaules ces derniers jours. Il ne sait pas vraiment s’il doit être heureux ou non, satisfait ou non. Tout ce qui compte aujourd’hui, c’est de se sentir débarrassé d’une lourde  tâche et de se sentir plus léger.
Bernard qui rentre du bureau le soir même n’a qu’une idée en tête, refaire le devoir avec le sujet que Kévin a rapporté.

Alors, comment ça c’est passé ce devoir ?
– Ca allait…
– Comment ça allait ? tu l’as bien réussi ?…
– Oui, oui, je crois…
– Tu veux qu’on le refasse ensemble pour vérifier ?
– … Le prof a ramassé le sujet je l’ai pas là…

Bernard est un peu surpris, mais n’insiste pas.

 Tu veux qu’on voit avec ce dont tu te rappelles ?…
– Non ‘pa je préfère attendre, c’est mieux.
– Ok. Comme tu voudras.

Bernard se résigne, pas vraiment inquiet étant donné la qualité de la préparation dont ils ont fait preuve tous les deux. La vie suit son cours. Les jours suivants Kévin ne se sent pas franchement à l’aise, il évite à nouveau son père, esquive les questions sur sa journée au collège. Son enthousiasme tombe et il semble se préparer inconsciemment, au fil du temps, au moment fatidique où le professeur rendra les copies.

– « Monsieur » Kévin Berthelon. Ah !… Je vois que les vacances vous ont été profitables et que les révisions ont rempli vos journées !… La prochaine fois, prenez quinze jours de vacances supplémentaires, on arrivera peut être à la moyenne !… 07/20 ! On atteint les derniers sommets !…

Pour Kévin, c’est une surprise sans en être une. Il est déçu certes, mais le plus dur c’est la double injustice. 07, c’est peu au regard des efforts qu’il a déployés et du temps qu’il y a passé et surtout l’humiliation que lui impose le professeur de mathématique qui, manifestement ne croit pas une seconde qu’il soit capable d’en faire davantage ! Mais tout cela n’est rien face à la déception probable de son père ! Aussi, il traîne quelques jours encore à l’annoncer. C’est Bernard qui revient à la charge, étonné que le prof soit aussi long à rendre une copie. C’est d’ailleurs la première fois qu’il s’en rend compte…

– Alors, ce devoir, il ne l’a pas encore rendu ?…
– Si… aujoud’hui… il m’a mis que 07.
– 07 !?… Comment ça 07 ? Tu m’as pourtant dis que ça avait très bien marché… Il ne nous a pas oublié des points ? demande-t-il un peu vexé.
– … j’sais pas…
– Comment ça tu ne sais pas ? Tu n’as pas vérifié ? Va le chercher que je vois ça !…

Kévin sent le vent tourner. Il sait que quelque chose est en train de se passer. Quelque chose qu’il ne connaît que trop bien… Résigné, partagé entre la colère, la peur et une immense déception il tend son devoir à Bernard.
Rapidement celui-ci parcourt la copie. Des grimaces commencent à déformer son visage. Manifestement il se contient, mais une colère sourde, incoercible entame lentement son ascension…

– Mais qu’est-ce tu as fais là ? Cet exercice on l’a fait ensemble bon sang ! C’est exactement le même !…
– …
– … Et ça, c’est carrément n’importe quoi ! C’est vraiment pas la peine de perdre autant de temps pour ça, franchement !
– …
– Même les questions de cours ! On les a apprises par cœur les propriétés. Y’a rien à comprendre ! Ma parole, mais tu le fais exprès ou quoi !!!
– …
– … et là ? … mais c’est juste ça ! Pourquoi il le compte faux ?…
– Il veut pas qu’on fasse comme ça, il veut qu’on fasse comme dans la leçon… hasarde Kévin.
– …pffft !… et le coup des dénominateurs ! Ça, je te l’ai répété au moins cinquante fois !

Bernard laisse maintenant libre court à sa colère. Il ne se maîtrise plus. A la fois profondément déçu par Kévin, il en veut aussi à ce professeur qui ne comprends rien et qui est complètement buté ! C’est quand même le résultat qui compte non ? Compter faux un truc juste ! « Faut qu’il change de métier celui-là ! ». Mais sa rage se retourne contre son fils, qui a soudain retrouvé ma mine butée d’avant.
La régression est fulgurante, comme si rien n’avait vraiment existé.

L’espace d’un instant pourtant cette famille, ce père, ce fils, s’étaient retrouvés. Puis ils s’étaient unis dans un objectif commun pour sceller ce nouveau pacte. Pour mieux conjurer la fatalité.

Oubliant tous deux qu’il ne s’agissait cependant … que d’un rêve!

Voir : objectif – rêve – illusion

Photo credit: scui3asteveo via VisualHunt / CC BY

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