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Le véritable enjeu des « devoirs du soir »

Les « devoirs du soir » ne participent en rien à l’apprentissage ! Nul besoin donc d’imposer à nos enfants ce temps additionnel à une journée par ailleurs bien remplie. Si dès la Grande Section de Maternelle ils sont pourtant aujourd’hui fortement recommandés par de nombreux enseignants, sous prétexte de mieux ancrer les prérequis de la lecture, que fait alors l’enfant 6 heures durant en classe ?

Que le parent surfe après la classe, en jouant et avec un peu d’esprit, sur cette nouvelle découverte qu’est l’écrit pour l’enfant, au moment où il en formule la demande, demeure bien entendu une posture parentale intelligente et fortement souhaitable. Mais que celui–ci se lance dans une entreprise d’approfondissement des notions abordées par le maître, apparaît particulièrement risqué. Laissons donc au professionnel le rôle et la responsabilité de cet apprentissage, afin de ne pas prendre le risque d’en perturber le bon déroulement. Après tout, c’est bien l’enseignant le spécialiste, non ?

Notons, que le premier apprentissage fondamental auquel l’enfant se trouve invité, est l’acquisition de la langue parlée. L’enfant forge sa compétence avant d’entrer à l’école, au simple contact de ses parents et des personnes qui l’entourent. Il procède ainsi à un apprentissage naturel du langage. En effet, le parent ne se lance pas dans une activité d’enseignement de la langue, mais se contente de parler, d’échanger ou de jouer avec des mots. La conséquence de cette attitude, se traduit chez l’enfant, par la mise en place du langage. Il est, à ce titre, remarquable de constater que si c’est le parent qui se trouve pour une bonne part à l’origine de cet apprentissage, on ne déplore aucun échec, soit : 100% de réussite, en dehors des troubles du langage ou de la pathologie bien entendu. Tous les enfants savent parler en entrant à l’école. Pour le parent, qui n’est pas un spécialiste, c’est un bon point, que l’on passe volontiers sous silence… Sans vouloir faire de mauvais esprit, ces mêmes enfants, en rentrant à l’école, vont bientôt procéder au second apprentissage fondamental de leur existence : celui de la lecture, sur un lieu dédié à leurs apprentissages, au contact de professionnels et on commence à entendre parler d’échec d’apprentissage… Intéressant, non ?

L’apprentissage naturel demeure le plus solide et le plus durable car il respecte une donnée fondamentale : c’est qu’il ne s’enseigne pas… Il est l’expression innée d’un désir de grandir, en jouant notamment. Il respecte l’enfant dans sa dynamique de construction et d’évolution. Nous sommes tous programmés pour apprendre et réussir ce que nous entreprenons. C’est donc bien l’école qui doit s’adapter à ces besoins et prédispositions et non l’inverse…

C’est du reste ce qu’a fait l’école Maternelle en France durant de très nombreuses années, ce qui lui a longtemps valu l’admiration du monde et une valeur de modèle incontestée. Encore une fois, les temps changent et l’école n’échappe pas aux exigences d’une société toujours plus vorace et plus pressée. A ce rythme, on ne jouera bientôt plus en Maternelle, on y travaillera…

Les « devoirs du soir » finissent par consacrer l’échec de l’enseignant lui-même qui, confronté à ses propres limites, ne tarde pas à confier l’apprentissage à un parent qui s’empresse, par angoisse ou par le profond désir de se replonger dans une époque pleine de bons souvenirs, de prendre le relais. Ce dernier tombe ainsi dans un piège qui finit par se resserrer autour de l’enfant pour son plus grand dommage. Il devient par là même l’enjeu du mécanisme bien inconscient de nos peurs, de nos hontes et de nos projections.

L’enseignant, tôt ou tard, rend le parent responsable de l’échec de son élève en lecture : le parent ne le fait pas assez lire le soir à la maison, ne lui fait pas réciter ses mots, n’approfondit pas assez avec lui les leçons vues en classe, ne le fait pas assez réviser… Il accroit donc ses angoisses et va provoquer chez lui, une augmentation de la pression, générer de l’impatience, de la fatigue, de la colère et enfin, du conflit. L’environnement détestable qui en résulte, nuira sans aucun doute à la qualité des apprentissages, qui deviendront très vite un sujet à éviter et l’enfant finira par se tourner vers d’autres investissements… Au final, rendu lui-même responsable de ses échecs, l’enfant, pour se protéger, ne pourra à terme, que se détourner de ce qui lui procure de la souffrance ou de la mésestime.

C’est son comportement en classe, qui sera très certainement le tout premier indicateur de ce processus de retournement vers une autre manière d’exister aux yeux de ses camarades ou du monde qui l’entoure. Il fera le pitre ou s’isolera selon le cas, se sentant disqualifié au regard de ce qu’attend de lui, son maître ou ses parents.

Les « devoirs du soir » font plus de ravages qu’ils n’occasionnent d’apprentissages utiles. La posture, pourtant logique, des parents et des enseignants à leur égard s’avère dans sa finalité désastreuse pour l’enfant. Ils créent de l’injustice et de l’échec et ne sont plus un moment de plaisir partagé, qui participe au dépassement de soi, ni au goût de l’effort. Autrement dit les « devoirs du soir » passe à côté de leur intérêt et du véritable enjeu qu’ils représentent…

Ce lien privilégié qu’ils constituent pourtant, entre le monde extérieur et la maison, entre l’école et les parents, est pollué par nos propres craintes, peurs ou angoisses de ne pas savoir ce que l’enfant a fait de sa journée en dehors de notre contrôle. Cela plonge parfois le parent dans une ignorance qui n’est pas toujours facile à vivre. Il éprouve donc le plaisir bien naturel de savoir : « qu’est-ce que tu as fait à l’école aujourd’hui ? As-tu des devoirs ce soir ? … ». Ces questions rituelles finissent très vite par lasser l’enfant qui se retranche rapidement, par des réponses lapidaires qui traduisent son désir de passer à autre chose, car il sait déjà ce qui l’attend… « J’ai joué avec les copains, rien, du dessin… ». Autrement dit, pas du tout ce que le parent a envie d’entendre à ce moment-là. Celui-ci préfèrerait certainement entendre : « j’ai fait du calcul, une dictée, une leçon passionnante sur Charlemagne ou une leçon très difficile sur l’accord des participes passés conjugués avec l’auxiliaire avoir, d’ailleurs à ce sujet papa, j’aimerais bien que tu m’aides pour un exercice… ».

Pas de chance pour le parent, il peut toujours rêver… Insatisfait, il insiste donc et se fait plus pressant. L’issue d’un tel échange est prévisible : c’est le conflit assuré, avant même de se mettre au travail. L’environnement qui résulte de cet affrontement programmé ne constitue pas, à proprement parler, une situation propice à l’apprentissage, nous en conviendrons aisément… Dès lors, le parent agit contre ses intérêts et ceux de l’enfant lui-même. Le moment des « devoirs du soir » est devenu le prétexte privilégié à l’expression des émotions de chacun.

Cette posture inquisitrice, traduit, chez le parent, un niveau d’angoisse difficilement supportable par l’enfant, qui se trouve bien démuni car il doit la recevoir sans pouvoir la gérer, et se trouve investi d’une mission qui n’est pas de son ressort. Devenu à la fois réceptacle ou déversoir de l’émotion de son parent, il ressent plus qu’il ne comprend, qu’on attend de lui quelque chose qu’il ne sait pas faire. L’attitude de dégagement qui en résulte l’amène donc à faire ce qu’il peut, plus que ce qu’il veut.

Ainsi que nous le voyons, chacun s’éloigne très vite du véritable l’intérêt que peut représenter ce moment si particulier.

Extrait du livre « Gérer les devoirs du soir sans conflit »